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L’incontournable fatigue mentale au travail : comment s’en préserver ?

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L’incontournable fatigue mentale au travail : comment s’en préserver ?
© Pexels Photo Karolina Grabowska

Après plusieurs heures de travail, avez-vous déjà relu plusieurs fois une même phrase sans en comprendre le sens ? Avez-vous parfois le sentiment que vous avancez plus lentement sur votre activité en cours quand vous travaillez dessus depuis un long moment ? Cette baisse d’efficacité est naturelle : avec le temps, une fatigue mentale s’installe et c’est tout le cerveau qui est impacté. À l’instar de la fatigue physique qui se réduit grâce à une période de récupération, notre cerveau a besoin de pauses pour récupérer et pouvoir fournir à nouveau des efforts.

Pourtant, force est de constater que les comportements de pause au travail ne sont pas toujours optimaux, ce qui favorise l’installation de la fatigue mentale. Par exemple, un sondage menée par BVA pour Club Média RH en 2017 sur 1000 salarié·e·s a montré que deux tiers des répondant·e·s prennent moins de 30 minutes de pause par jour (sans compter la pause déjeuner), et un tiers en prend moins de 15 minutes [1]. Pourtant, ces répondant·e·s sont plus de 90% à estimer que la pause augmente la productivité et le bien-être des salarié·e·s.

Mais alors, pourquoi faut-il favoriser les pauses au travail ? Qu’est-ce qu’une bonne pause ? Les résultats de la recherche en sciences cognitives nous permettent de mieux définir la fatigue mentale et ses conséquences, et comprendre comment s’en prémunir.

La fatigue mentale, c’est quoi exactement ?

La fatigue mentale se définit principalement par ses conséquences : une incapacité à atteindre ou maintenir une performance maximale à la suite d’une activité mentale prolongée. La mobilisation de nos ressources mentales sur un temps long, pouvant aller de quelques minutes à plusieurs dizaines de minutes selon l’activité, entraine un changement dans le fonctionnement du cerveau, qui se manifeste dans une transformation de nos comportements.

Tout d’abord, nos performances et capacités d’attention sont altérées. Après plusieurs heures passées sur une même activité, nous avons plus de difficultés pour détecter correctement les informations liées à l’activité en cours, ce qui nous pousse à faire davantage d’erreurs [2]. Par exemple, c’est ce qui explique notre surprise lorsqu’on relit un paragraphe rempli de fautes d’orthographe que l’on a écrit la veille après plusieurs heures de rédaction. Nous n’avons en effet souvent pas conscience de la dégradation de nos performances induite par la fatigue mentale.

Nos temps de réaction augmentent également, entraînant un allongement du temps nécessaire pour terminer l’activité en cours. De plus, le contrôle de notre propre attention diminue sous l’effet de la fatigue mentale, ce qui réduit notre capacité à faire abstraction des sollicitations extérieures, et donc à rester concentrer [3].

Ensuite, notre capacité à prendre des décisions s’altère avec la fatigue mentale, notamment si l’activité en cours est intense pour notre cerveau. Une étude de 2015 menée par une équipe de recherche française a par exemple montré que des individus, après avoir passé 6 heures sur une même activité, développaient un biais d’impulsivité lors de leur prise de décisions. Les participant·e·s préféraient accumuler des gains sur le court terme plutôt que de maximiser des gains plus importants sur le long terme [4]. Prendre des décisions après de longues réunions serait ainsi à éviter : probablement prises sous l’effet de la fatigue mentale, elles pourraient être biaisées et ne pas bénéficier au collectif ou à l’entreprise sur le long terme. D’après les résultats de cette étude, la fatigue altère le fonctionnement du cortex préfrontal, une zone située à l’avant de notre cerveau (juste derrière les yeux), et qui est impliquée notamment dans le contrôle de soi et des comportements. Une autre équipe de recherche a montré que c’est le fonctionnement général du cerveau qui serait altéré sous l’effet de la fatigue mentale. Toutes les zones de notre cerveau s’activeraient en effet moins bien et moins intensément avec le temps passé sur une activité mentale intense, et notre cerveau se mettrait dans un état proche de celui dans lequel il entre quand nous dormons [5].

La fatigue mentale a ainsi de nombreux effets négatifs sur notre cerveau et son fonctionnement. Il devient donc essentiel de limiter au maximum son accumulation, surtout au travail, pour conserver efficacité et bien être tout au long de la journée. Il convient donc d’agir, en transformant ses comportements individuels et collectifs pour limiter l’apparition de la fatigue mentale.

La pause, une contre-mesure pour supprimer la fatigue mentale

Comme évoqué plus haut, l’un des seuls moyens pour réduire la fatigue mentale et supprimer ses effets négatifs est de faire une pause (pour en savoir plus, lire notre article « Qu'est-ce qu'une pause efficace pour notre cerveau ? » ). En effet, l’origine de la fatigue mentale pourrait s’expliquer par le fait que notre cerveau consomme des ressources mentales pour traiter une activité. Cependant, ces ressources ne sont pas illimitées, et si l’activité est en cours depuis trop longtemps, alors les ressources s’épuisent et notre cerveau se met à moins bien à fonctionner [6]. Pour restaurer les ressources mentales, il est nécessaire de passer à une autre activité qui est la plus différente possible : autrement dit, il faut faire une pause ! Une étude chinoise a par exemple montré que faire une courte pause, pendant laquelle les participant·e·s ne faisaient rien, après plusieurs heures passées sur un même activité, permettait de faire remonter l’efficacité sur la tâche. [7]Si votre activité est plutôt sédentaire, par exemple en position assise à faire des tâches informatisées, une pause récupératrice serait alors de mobiliser votre corps, en allant faire un tour.

Des scientifiques ont essayé d’explorer plus précisément, parmi les comportements adoptés lors des pauses, ceux qui permettraient de limiter au mieux les effets de la fatigue mentale. Par exemple, une équipe australienne explique l’importance des éléments naturels dans la restauration des ressources mentales (pour en savoir plus, lire notre article « La nature au bureau, simple tendance ou réels bienfaits ? »). En effet, iels ont montré en 2015 que l’amélioration de l’efficacité après installation de la fatigue mentale était meilleure si les participant·e·s voyaient de la verdure durant leur pause, plutôt que du béton. [8]Cette étude semble indiquer qu’il est préférable de faire des pauses dans des milieux arborés et incluant la nature (dans un parc, ou une pièce avec des plantes), plutôt que dans un environnement très urbain. Faire des pauses en extérieur est d’autant plus une bonne idée qu’une étude française a montré que pratiquer une activité physique pendant la pause aide aussi à accélérer la restauration des ressources de notre cerveau. [3]En effet, l’activité physique participe à l’oxygénation du cerveau, ce qui aide à restaurer ses ressources et donc à supprimer la fatigue mentale.

La motivation : un autre levier pour limiter la fatigue mentale

Au-delà de l’attrition des ressources avec le temps, une autre raison pourrait expliquer l’apparition de la fatigue mentale, et amène à des recommandations différentes pour supprimer ses effets. En effet, la fatigue mentale n’apparaitrait pas uniquement parce que les ressources mentales s’épuisent, mais parce que nous perdrions en motivation après avoir fait la même activité depuis plusieurs heures. Nous serions ainsi moins enclins à fournir un effort pour faire l’activité en cours, réduisant ainsi notre efficacité [9]. Cette théorie suppose donc que la pause n’est pas le seul moyen de réduire la fatigue mentale : tout élément pouvant maintenir ou faire remonter la motivation peut limiter l’installation de la fatigue mentale. Une équipe de recherche a par exemple montré que des participant·e·s recevant de l’argent en cas de bonnes réponses lors d’une activité durant 2h30 maintenaient leur performance au cours du temps, ce qui n’était pas le cas des participant·e·s qui ne recevaient pas de récompenses [9]. De cette façon, entretenir une motivation externe par le biais d’une récompense matérielle ou financière peut ralentir l’apparition de la fatigue mentale. Mais la motivation peut également être d’une autre nature : prendre du plaisir à faire une activité, ou en tirer des bénéfices personnels telles que l’amélioration de nos compétences ou la satisfaction que l’on tire de son accomplissement, peut aussi agir pour limiter l’apparition de la fatigue mentale !

Toutefois, les bienfaits de la motivation dans la régulation de la fatigue mentale sont limités. Même si les performances peuvent se maintenir dans le temps, la sensation de fatigue, elle, augmente avec le temps passé sur l’activité [9], réduisant ainsi notre bien-être. De plus, la motivation, au bout d’un moment, ne suffira plus pour contrebalancer les effets dus à l’épuisement des ressources mentales, finissant par avoir des impacts négatifs importants sur la performance, la santé et la récupération des travailleur·se·s. [10]

La fatigue mentale est donc un phénomène fréquent au travail, qu’il faut savoir appréhender pour éviter ses effets négatifs. Que ce soit en faisant des pauses ou en cherchant des sources de motivation, on peut agir activement sur ses pratiques de travail et ainsi travailler plus sereinement et efficacement. Cette réflexion sur les changements de pratiques reste avant tout à la main des collectifs : c’est à l’échelle des équipes et des normes de l’entreprise que peuvent se mettre en place des pratiques vertueuses pour préserver durablement les salarié·e·s.

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[1]         BVA, “Les salariés et les pauses en entreprise,” 2017. [Online]. Available: https://www.bva-group.com/sondages/salaries-pauses-sondage-bva-club-media-rh/

[2]         P. Qi et al., “Neural Mechanisms of Mental Fatigue Revisited: New Insights from the Brain Connectome,” Engineering, vol. 5, no. 2, pp. 276–286, Apr. 2019, doi: 10.1016/j.eng.2018.11.025.

[3]         T. Jacquet, B. Poulin-Charronnat, P. Bard, J. Perra, and R. Lepers, “Physical Activity and Music to Counteract Mental Fatigue,” Neuroscience, vol. 478, pp. 75–88, Dec. 2021, doi: 10.1016/j.neuroscience.2021.09.019.

[4]         B. Blain, G. Hollard, and M. Pessiglione, “Neural mechanisms underlying the impact of daylong cognitive work on economic decisions,” PNAS, vol. 113, no. 25, pp. 6967–6972, Jun. 2016, doi: 10.1073/pnas.1520527113.

[5]         S.-Y. Cheng and H.-T. Hsu, Mental Fatigue Measurement Using EEG. IntechOpen, 2011. doi: 10.5772/16376.

[6]        M. B. Herlambang, N. A. Taatgen, and F. Cnossen, “Modeling motivation using goal competition in mental fatigue studies,” Journal of Mathematical Psychology, vol. 102, p. 102540, Jun. 2021, doi: 10.1016/j.jmp.2021.102540.

[7]         P. Qi, L. Gao, J. Meng, N. Thakor, A. Bezerianos, and Y. Sun, “Effects of Rest-Break on Mental Fatigue Recovery Determined by a Novel Temporal Brain Network Analysis of Dynamic Functional Connectivity,” IEEE Trans Neural Syst Rehabil Eng, vol. 28, no. 1, pp. 62–71, Jan. 2020, doi: 10.1109/TNSRE.2019.2953315.

[8]         K. E. Lee, K. J. H. Williams, L. D. Sargent, N. S. G. Williams, and K. A. Johnson, “40-second green roof views sustain attention: The role of micro-breaks in attention restoration,” Journal of Environmental Psychology, vol. 42, pp. 182–189, Jun. 2015, doi: 10.1016/j.jenvp.2015.04.003.

[9]        M. B. Herlambang, N. A. Taatgen, and F. Cnossen, “The Role of Motivation as a Factor in Mental Fatigue,” Hum Factors, vol. 61, no. 7, pp. 1171–1185, Nov. 2019, doi: 10.1177/0018720819828569.

[10]      M. A. S. Boksem and M. Tops, “Mental fatigue: costs and benefits,” Brain Res Rev, vol. 59, no. 1, pp. 125–139, Nov. 2008, doi: 10.1016/j.brainresrev.2008.07.001.

 

 

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